Un homme de 70 ans souffrant d’hypertension artérielle et portant un stimulateur cardiaque a été adressé pour un examen neuro-ophtalmologique en raison de défauts du champ visuel. Outre les champs visuels montrant une hémianopsie binasale s’étendant sur la ligne médiane verticale (figure 1A), l’examen neuro-ophtalmologique a révélé une meilleure acuité visuelle corrigée de 0,9 pour l’œil droit et de 1,0 pour l’œil gauche, ainsi qu’une dyschromatopsie bilatérale sévère dont le patient était parfaitement conscient. Les réactions pupillaires étaient normales. La pression intraoculaire était de 21 mmHg bilatéralement, et des cataractes naissantes ont été notées à l’examen à la lampe à fente. L’examen du fond d’œil a révélé une pâleur diffuse des disques optiques bilatéralement. Il n’a pas été noté de creux glaucomateux et les rétines sont apparues normales (Fig. 1B, panneau supérieur). La tomographie par cohérence optique (OCT) dans le domaine spectral a révélé un amincissement de la couche de fibres nerveuses rétiniennes péripapillaire temporale, œil droit, et de la couche de fibres nerveuses rétiniennes péripapillaire nasale et supérieure, œil gauche (Fig. 1B, panneau inférieur). Les OCT maculaires étaient complètement normaux, à l’exception d’un œdème mineur dans la région papillomaculaire, œil gauche (non montré).
La tomodensitométrie (TDM) du cerveau a montré des calcifications épaisses et contiguës et une légère dolichoectasie des deux artères carotides internes adjacentes aux nerfs optiques immédiatement avant le chiasma optique (figure 1C). L’imagerie par résonance magnétique n’a pas été réalisée en raison de la présence d’un stimulateur cardiaque. Un scanner duplex de l’artère carotide a montré une calcification de 30 % du segment cervical de l’artère carotide interne bilatéralement. Les études de laboratoire ont révélé une hypercholestérolémie avec un cholestérol total de 6,3 mmol/l (recommandations nationales : <4 mmol/l) et un LDL de 3,6 mmol/l (<1,8 mmol/l), et un traitement au clopidogrel ainsi qu’à la simvastatine a ensuite été initié. Le patient a été suivi pendant un an, les symptômes et les résultats restant totalement stables.
L’hémianopsie binasale isolée est extrêmement rare. Par opposition à son homologue, l’hémianopsie bitemporale, l’hémianopsie binasale a probablement plus à voir avec les yeux, y compris la tête du nerf optique, qu’avec le cerveau. Dans une étude portant sur 100 patients référés pour une évaluation neuro-ophtalmologique, huit d’entre eux présentaient des anomalies du champ visuel binasal, dont six étaient causées par une atteinte bilatérale de la tête du nerf optique, comme des drusen de la papille optique ou une maladie rétinienne bilatérale comme la rétinite pigmentaire. Les deux autres cas ont été causés par une hydrocéphalie congénitale, où le troisième ventricule distendu aurait poussé les nerfs optiques intracrâniens latéralement contre la partie supraclinoïde des artères carotides internes (Salinas-Garcia & Smith 1978).
L’hémianopsie binasale peut, de façon concevable, être causée par une athérosclérose ou un anévrisme bilatéral des artères carotides internes comprimant simultanément les fibres adjacentes non croisées des deux nerfs optiques. Cependant, la documentation de cette relation de cause à effet dans la littérature repose principalement sur l’examen de matériel post-mortem (Smith 1905) et sur la combinaison de la périmétrie par écran tangent, de l’ophtalmoscopie et des rayons X (Knapp 1932). De façon surprenante, à l’exception d’un seul cas (Fabian 1980), nous n’avons pas trouvé de cas d’hémianopsie binasale causée par une athérosclérose de la carotide interne documentée par les techniques d’imagerie modernes.
Notre patient présentait une hémianopsie binasale ne respectant pas la ligne médiane verticale, ce qui est caractéristique de ce type de défaut de champ hémianopique. Les maculas ont été épargnées préservant une bonne acuité visuelle centrale. Une partie importante des champs temporaux inférieurs était affectée, surtout dans l’œil gauche. En correspondance avec les défauts de champ, un amincissement de la couche de fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires a été noté sur l’OCT, très probablement causé par une dégénérescence axonale rétrograde comme cela est également observé dans les lésions du chiasma (Ostri et al. 2012). Il n’y avait aucun signe de glaucome ; les pressions intraoculaires étaient constamment normales, les disques optiques n’étaient pas excavés et les défauts du champ visuel étaient stables malgré l’absence de traitement antiglaucomateux. La tomodensitométrie était normale, à l’exception d’une calcification bilatérale dense et d’une légère dolichoectasie des artères carotides internes intracrâniennes adjacentes aux fibres axonales non croisées des nerfs optiques préchiasmatiques et les comprimant très probablement. Nous recommandons une tomodensitométrie de la région chiasmatique pour les patients présentant des défauts du champ visuel binasal et une atrophie optique, où l’apparence de la papille optique et les lectures de la pression intraoculaire parlent contre le glaucome.