Dans les premières années du XVe siècle, le gouvernement de la France était en plein désarroi. Le roi d’Angleterre attaquait dans le but de s’emparer du trône. Le roi français Charles VI souffrait d’épisodes débilitants d’instabilité mentale. Diverses factions françaises, les Armagnacs, partisans du duc d’Orléans, et les Bourguignons se battent entre eux pour le contrôle du trône et du trésor français. Au milieu de ce conflit, la reine Isabeau de Bavière devait jouer le rôle de médiatrice entre les parties belligérantes. Elle était également chargée de la tutelle de ses enfants, en particulier de ses fils qui étaient les héritiers du trône. C’était une tâche impossible.
Elisabeth von Wittelsbach est née vers 1370 à Munich, dans le puissant État allemand de Bavière. Elle était la fille d’Étienne III qui régna comme duc de Bavière-Ingolstadt de 1375 à 1413. Sa mère était Taddea Visconti, fille du Milanais Bernabo Visconti, l’une des familles dominantes de Lombardie. Nous savons peu de choses de ses années d’enfance mais elle reçut une éducation digne de son rang. La famille d’Elisabeth était très unie. Sa mère est décédée lorsqu’elle avait onze ans et chaque année, elle et son père assistaient à des messes commémoratives au nom de sa mère. Elisabeth avait également une bonne relation avec son frère Louis.
Les chroniqueurs se contredisent sur les détails du caractère d’Elisabeth ainsi que sur son apparence. Elle est décrite comme étant grande et blonde mais on dit aussi qu’elle était petite et brune. On dit qu’elle était belle et hypnotique, mais on dit aussi qu’elle était tellement obèse qu’elle était infirme. Elle n’a jamais perdu son accent allemand, ce qui a conduit ceux de la cour française à la considérer avec suspicion.
Les Français étaient désireux d’une alliance avec le Saint Empire romain germanique contre les envahisseurs anglais. En 1383, Charles VI lança un appel à l’aide auprès des Pays-Bas qui étaient sous l’influence de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Frédéric, frère du père d’Élisabeth, répond à l’appel à l’aide. Les Français demandent à Frédéric s’il a des filles susceptibles d’épouser le roi. Il n’en avait pas mais il proposa la jolie fille adolescente de son frère.
Le mariage fut à nouveau discuté en avril 1385. Le roi Charles, qui avait alors dix-sept ans, était un beau jeune homme athlétique qui aimait les joutes et la chasse et était impatient de se marier. Philippe de Bourgogne commença à négocier le mariage entre Élisabeth et Charles dans le but de cimenter l’alliance avec le Saint-Empire romain germanique et de consolider et faire progresser sa propre influence croissante dans les Pays-Bas. Lorsque le mariage d’Élisabeth est discuté, son père hésite à l’envoyer se faire voir nue par le roi de France en tant qu’épouse potentielle, comme le veut la coutume à l’époque. Il hésite et ne cède qu’après avoir convenu que personne, y compris Élisabeth, ne soit informé du but réel de sa visite. On dit à Élisabeth qu’elle se rendait en pèlerinage à Amiens.
L’oncle d’Élisabeth, Frédéric, l’accompagne en Hainaut où elle passe quelque temps chez son grand-oncle le duc Albert Ier. Son épouse Marguerite s’emploie à éduquer Élisabeth sur l’étiquette de la cour française. Elle fait rapidement disparaître le style vestimentaire bavarois d’Élisabeth pour le remplacer par le style français, plus élégant. Elisabeth a appris très rapidement et le 13 juillet 1385, elle est partie à la rencontre de Charles, arrivant à Amiens le 17 juillet.
Le chroniqueur Jean Froissart a décrit la rencontre en disant qu’Elisabeth se tenait entièrement vêtue et parfaitement immobile alors qu’elle était inspectée. Des dispositions étaient prises pour que le couple se marie à Arras si tout allait bien. Indépendamment de l’ambiguïté des chroniqueurs quant à son apparence, Charles trouve Isabeau si belle qu’il insiste pour l’épouser immédiatement. Les noces ont lieu trois jours plus tard. Le nom d’Elisabeth fut changé pour celui d’Isabeau, à consonance plus française.
Le lendemain du mariage, Charles partit en campagne contre les Anglais tandis qu’Isabeau alla vivre chez la grande tante de Charles, Blanche, duchesse d’Orléans, qui lui enseigna les rituels et les traditions de la cour. Isabeau s’installe ensuite au château de Vincennes où Charles lui rend fréquemment visite. Ce château deviendra sa résidence préférée. Au cours des premières années de leur mariage, Charles lui offre de nombreux cadeaux. Le frère d’Isabeau, Louis, arrive à la cour de France, elle y promeut sa carrière et arrange deux mariages séparés avec des veuves françaises. Son père lui envoie un ménestrel dans les premières années de son règne. Elle devint mécène des arts et était connue pour sa piété.
Isabeau fut couronnée et ointe le 23 août 1389 dans la cathédrale Notre-Dame. Le couronnement fut précédé d’un somptueux cortège dans les rues de Paris qui dura une journée entière. La cérémonie est suivie d’un autre cortège extravagant et d’un somptueux festin. Isabeau, qui était enceinte de sept mois à l’époque, faillit s’évanouir à cause de la chaleur le premier jour des festivités.
Isabeau eut de nombreux enfants à partir de septembre 1386, date à laquelle naquit un fils Charles. Il est décédé trois mois plus tard. Une fille Jeanne est née en juin 1388 mais est décédée deux ans plus tard. Son troisième enfant est une fille nommée Isabella qui sera mariée à l’âge de sept ans au roi Richard II d’Angleterre. Une autre fille, Jeanne, est née en 1391. Elle survivra et épousera Jean VI, duc de Bretagne. Un autre fils, Charles, est né en février 1392, mais il est mort à l’âge de huit ans d’une maladie mortelle. Les preuves historiques montrent qu’Isabeau a gardé ses enfants près d’elle pendant leur enfance, leur permettant de voyager avec elle. Elle écrivait des lettres à ses enfants, leur achetait des cadeaux et des textes de dévotion et éduquait ses filles.
Les premières années du règne de Charles avaient été dominées par plusieurs nobles qui agissaient comme régents. Les régents étaient plus intéressés par l’auto-promotion que par la politique. Isabeau prit rapidement l’autorité en agissant comme médiatrice entre les factions combattantes de la cour. Elle est alliée à Philippe de Bourgogne mais parvient à maintenir des liens avec ses ennemis. Elle semble avoir fait un usage judicieux de son autorité et fait preuve de charisme.
Charles révoque les régents en 1388. Il nomma à leur place des hommes compétents et respectés du règne de son père. Ils rétablirent l’ordre et le règne de Charles fut couronné de succès jusqu’à un jour fatidique d’août 1392. La vie d’Isabeau allait changer à jamais. Charles avait commencé à montrer des signes de psychose par courtes crises. Mais en août, il a une attaque effrayante et fiévreuse près du Mans. Il attaque son frère Louis d’Orléans ainsi que certains de ses chevaliers. L’attaque se termine par la mort de quatre hommes. Il tombe ensuite dans un coma qui dure quatre jours. Les oncles de Charles prirent le pouvoir en tant que régents et renvoyèrent le conseil actuel du roi.
Un médecin respecté fut appelé pour le soigner. Sa fièvre s’est calmée et il a repris conscience et a été renvoyé à Paris en septembre. Il eut une seconde attaque sévère au mois de juin suivant qui l’empêcha d’exercer ses fonctions de roi pendant environ six mois. Un schéma s’établit pour les vingt années suivantes où il vacille entre des périodes de folie et de lucidité.
Après la première attaque, Charles s’arrange pour qu’Isabeau soit co-tutrice du dauphin et du reste des enfants royaux. Elle partage ses fonctions avec les ducs de Bourgogne, de Berry et de Bourbon et son frère Louis. Si Charles mourait avant la majorité de son fils, son oncle Louis d’Orléans devait être régent. Louis soutiendra que ses pouvoirs de régence s’étendent aux périodes où Charles est inapte à gouverner pendant ses maladies. Ceci est contesté par le duc de Bourgogne qui se considère comme le chef du gouvernement en l’absence du roi.
Parfois, le roi fera preuve de violence envers Isabeau. C’est un témoignage de sa loyauté qu’elle couchait avec lui lorsqu’il était lucide. Elle a donné naissance à d’autres enfants après le début de sa maladie. Une fille, Marie, est née au cours de l’été 1393. À l’âge de quatre ans, Marie est envoyée dans un couvent dont elle deviendra la prieure. Une fille, Michelle, est née en février 1395. Elle survivra et épousera Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Un fils, Louis, est né en 1397. Il mourra en 1415. Un fils Jean est né en août 1398. Il épousa Jacqueline, comtesse de Hainaut mais mourut sans descendance en 1417.
Le dixième enfant d’Isabeau était une fille nommée Catherine. Elle survivra pour épouser le roi Henri V d’Angleterre et aura un enfant qui deviendra le roi Henri VI. Après la mort d’Henri, elle épouse Owen Tudor. Son fils Edmund Tudor est le père de l’homme qui deviendra le roi Henri VII et le fondateur de la dynastie des rois Tudor d’Angleterre. Le fils suivant d’Isabeau, Charles, est né en février 1403. Il héritera du trône de France et régnera sous le nom de Charles VII. Le dernier enfant d’Isabeau, un fils nommé Philippe, est né en 1407 mais n’a vécu que quelques heures. Isabeau resta en contact avec ces enfants qui se marièrent et quittèrent la maison.
Les périodes de maladie de Charles étaient difficiles pour Isabeau. À un moment donné, Isabeau a déplacé sa résidence à l’hôtel Babette. Elle fut accusée de l’abandonner mais sa vie avec lui lorsqu’il était malade devait être insupportable. En 1405, il est jugé prudent de fournir à Charles une maîtresse. En mars 1402, Charles désigne Isabeau comme arbitre entre les ducs fractionnés. En juillet, il l’autorise à diriger le conseil royal pendant ses absences. Philippe de Bourgogne meurt en 1404 mais son fils Jean sans Peur arrive pour prendre la place de son père. Cela met en place une lutte pour le contrôle de la couronne et de ses ressources et pour le contrôle physique du Dauphin entre Louis d’Orléans, Jean et la reine Isabeau. Les querelles et les vendettas issues de cette lutte allaient se transformer en guerre civile. Le duc d’Orléans est assassiné en novembre 1407 par des agents de Jean sans Peur. De 1409 à 1413, Jean et ses alliés lui sont bénéfiques. De 1413 à 1415, les partisans de Louis, dont son plus jeune fils Charles, sont alliés à Isabeau.
Jean sans Peur lui-même est assassiné par des conseillers du Dauphin Charles en septembre 1419. Pendant que ces parties se battaient, Henri V parcourait la France en gagnant des territoires au fur et à mesure. À un moment donné, Isabeau est emprisonnée à Tours, sa maison est dissoute, tous ses biens personnels sont confisqués et elle est séparée de ses dames d’honneur et du reste de ses enfants. Finalement, le nouveau duc de Bourgogne fait la paix avec l’Angleterre et il devient inévitable que Charles et Isabeau acceptent ces conditions. Le résultat fut le Traité de Troyes daté du 21 mai 1420. Charles ne pouvant assister à la signature du traité, Isabeau le remplace.
Le traité ne divise pas la France mais prévoit que Charles VI reste roi avec Henri V comme régent et héritier. Le fils de Charles et Isabeau, le Dauphin Charles, est déshérité. Isabeau devait vivre dans le Paris contrôlé par les Anglais. Henri V deviendra roi à la mort de Charles VI et le trône de France passera aux héritiers d’Henri. Henri doit épouser Isabeau et la fille de Charles, Catherine. La théorie était que l’Angleterre et la France seraient gouvernées séparément selon leurs propres coutumes et lois mais dirigées par un seul homme.
Charles VI meurt en octobre 1422. Henri V d’Angleterre était mort plus tôt dans l’année et son fils en bas âge Henri VI fut déclaré roi de France. Isabeau vit à Paris, probablement dans un état dégradé. Des rumeurs circulent selon lesquelles Isabeau aurait eu de nombreux amants. D’autres rumeurs prétendent que son fils déshérité n’est pas légitime. En 1429, Isabeau se retire pour vivre à l’Hôtel St. Pol avec la seconde épouse de son frère. Elle y meurt en 1435 et bénéficie d’une sépulture d’État.
Isabeau a fait l’objet d’une litanie d’attaques sur son caractère d’abord par les Bourguignons puis par les pro-anglais. Elle a été obligée de prendre et de changer de camp plusieurs fois, ce qui l’a fait paraître faible et indécise. Son fils est rebelle et travaille contre elle. Sa présence à la signature du traité de Troyes lui vaut d’être accusée d’avoir renié la France en déshéritant son fils en faveur du roi d’Angleterre. On l’accuse d’adultère, d’obésité, de convoitise, de s’habiller de manière trop fantaisiste, d’être dépensière et extravagante, de rester debout jusqu’à toute heure de la nuit à faire la fête et de négliger ses enfants. Pendant les maladies de son mari, elle ne pouvait plus suivre ses exigences sexuelles et son comportement dangereux. Lorsqu’il est décidé de fournir à Charles une maîtresse officielle, elle est accusée d’abandonner son mari pour accéder au pouvoir et de se livrer à une vie de décadence et d’immoralité. Ces accusations provenaient de ses ennemis politiques et allaient hanter son héritage pendant des siècles.
Au vingtième siècle, les historiens ont commencé à examiner les preuves historiques du règne d’Isabeau et sont arrivés à une conclusion très différente sur son caractère. Rachel Gibbons et Tracy Adams (voir références ci-dessous) ont réévalué sa réputation et l’ont disculpée d’un grand nombre d’accusations. R.C. Famiglietti la qualifie même d’épouse parfaite. Isabeau a fait de son mieux dans des circonstances extrêmement difficiles. Son fils Charles a fini par reprendre le trône de France avec l’aide de Jeanne d’Arc et, sous le règne du petit-fils d’Isabeau, Louis XI, la France a commencé à être consolidée et à avoir une identité nationale.
Lecture complémentaire : « La vie et l’après-vie d’Isabeau de Bavière » par Tracy Adams, « Contes du lit conjugal de la France médiévale (1300-1500) par R.C. Famiglietti, « La guerre de Cent Ans : une histoire populaire » par David Green, Rachel Gibbons (1996). Isabeau de Bavière, reine de France (1385-1422) : The Creations of an Historical Villainess (The Alexander Prize Essay). Transactions de la Royal Historical Society, 6, pp 51-73 doi : 10.2307/3679229