Tout au long de l’histoire de l’humanité, il est apparu que peu de maladies médicales sont aussi dévastatrices dans leurs effets que la dépression majeure. Et depuis les années 1950, avec l’arrivée de la première génération d’antidépresseurs, il est évident que la dépression est un trouble biologique. Cela a généré un énorme défi intellectuel : comment comprendre les bases matérielles et réductrices d’une maladie de tristesse maligne.
Les composantes tragiques et le défi intellectuel de la dépression se sont approfondis au cours de la dernière décennie avec une série de rapports à haute visibilité qui indiquent que la dépression majeure et prolongée est associée à une atrophie au sein du système nerveux central. Un rapport publié dans ce numéro de PNAS par Czéh et al. (1) apporte un soutien à une voie possible pour inverser ces changements morphologiques.
Cette atrophie est centrée dans une région du cerveau appelée l’hippocampe. Cette structure joue un rôle essentiel dans l’apprentissage et la mémoire, et l’ampleur de la perte de volume de l’hippocampe (près de 20% dans certains rapports ; réf. 2-4) contribue à expliquer certains déficits cognitifs bien documentés qui accompagnent la dépression majeure. Il s’agissait d’études minutieuses et bien contrôlées, dans la mesure où l’atrophie était démontrable après contrôle du volume cérébral total et pouvait être dissociée de variables telles que les antécédents de traitement antidépresseur, la thérapie électroconvulsive ou la consommation d’alcool. De plus, des dépressions plus prolongées étaient associées à une atrophie plus sévère.
Ces résultats de l’atrophie de l’hippocampe soulèvent des questions immédiates. Premièrement, est-elle permanente ? Tentativement, cela semble être le cas, car l’atrophie a persisté jusqu’à des décennies après la rémission des dépressions. De plus, l’étendue de l’atrophie ne diminuait pas avec l’augmentation de la durée de la rémission (2-4).
Puis, l’atrophie de l’hippocampe résulte-t-elle de la dépression, ou précède-t-elle et même prédispose-t-elle à la dépression ? Il existe peu de preuves pour cette dernière hypothèse (discutée dans la réf. 5), et la plupart des spécialistes du domaine supposent tacitement que ce changement morphologique est une conséquence de la biologie sous-jacente aux aspects affectifs (humeur) de la maladie.
Plus difficile, quelles sont les bases cellulaires de l’atrophie persistante ? Il existe quelques mécanismes candidats plausibles, tous construits autour des nombreuses façons dont la dépression majeure est, en définitive, un trouble lié au stress. Le stress prolongé a trois effets négatifs importants sur la morphologie de l’hippocampe. Premièrement, il peut provoquer la rétraction des processus dendritiques dans les neurones de l’hippocampe (voir réf. 6). Bien que ce phénomène puisse entraîner une atrophie du volume total de l’hippocampe, secondaire à la perte de volume du neuropile, il est peu probable qu’il soit pertinent ici, dans la mesure où la rétraction s’inverse facilement avec la diminution du stress. Un deuxième effet négatif du stress est l’inhibition de la neurogenèse dans l’hippocampe adulte (voir réf. 7). Enfin, dans certaines études, mais pas toutes, un stress prolongé peut entraîner la perte de neurones hippocampiques préexistants (c’est-à-dire la neurotoxicité) (voir réf. 8). L’inhibition de la neurogenèse et/ou la neurotoxicité induites par le stress pourraient toutes deux être à l’origine de l’atrophie de l’hippocampe. Un certain nombre d’études héroïquement obsessionnelles ont rapporté les résultats de comptages cellulaires post-mortem dans les régions corticales frontales du cerveau des dépressifs, indiquant une perte de cellules (9, 10) ; des études similaires doivent être réalisées dans l’hippocampe pour déterminer quel(s) mécanisme(s) cellulaire(s) sous-tend(ent) la perte de volume.
Une question encore plus difficile est de savoir quelle est la cause proximale de la perte de volume. Un suspect habituel est la classe d’hormones appelées glucocorticoïdes (la version humaine étant le cortisol). Ces stéroïdes sont sécrétés par la glande surrénale en réponse au stress, et des décennies de travaux ont montré qu’ils avaient divers effets néfastes sur le cerveau, en particulier sur l’hippocampe (qui contient des quantités considérables de récepteurs pour les glucocorticoïdes). Ces effets comprennent la rétraction des processus dendritiques, l’inhibition de la neurogenèse et la neurotoxicité (examinés dans la réf. 8). De plus, une perte de volume de l’hippocampe se produit dans le syndrome de Cushing (dans lequel il y a une hypersécrétion de cortisol, secondaire à une tumeur) (11). En outre, environ la moitié des personnes souffrant de dépression majeure présentent une hypersécrétion de cortisol. Enfin, les individus de ces études démontrant une atrophie de l’hippocampe étaient plus susceptibles d’avoir souffert du sous-type de dépression présentant les taux les plus élevés d’hypercortisolisme (2, 3). Ainsi, de nombreuses preuves corrélatives impliquent les glucocorticoïdes. Néanmoins, aucune étude n’a encore démontré que cette atrophie se produit uniquement, ou même qu’elle est plus susceptible de se produire, chez les dépressifs qui sont hypercortisolémiques.
Avec ces divers éléments apparus ces dernières années, une autre question raisonnable est de savoir si l’on peut faire quelque chose contre l’atrophie, et c’est là qu’interviennent les découvertes passionnantes de Czéh et al. (1). Un certain nombre d’études menées sur des rongeurs indiquent que certains des traitements standard de la dépression, à savoir l’administration de médicaments antidépresseurs ou le recours à l’électroconvulsivothérapie, ont des effets sur l’hippocampe qui devraient aller à l’encontre de ceux signalés dans la dépression majeure. Par exemple, une classe de médicaments antidépresseurs prévient la rétraction des processus dendritiques induite par le stress (12, 13). De plus, les médicaments antidépresseurs et la thérapie électroconvulsive augmentent la neurogenèse adulte dans l’hippocampe (14, 15). Les travaux de Czéh et al. représentent un prolongement important de ces résultats à deux égards. Premièrement, ils rapportent maintenant des effets similaires d’un médicament antidépresseur dans l’hippocampe des primates. Et de façon critique, il s’agit de la première démonstration de ce type avec un modèle animal de dépression, plutôt que chez des sujets « non déprimés ».
L’étude a porté sur des musaraignes arboricoles, un primate prosimien que les auteurs utilisent depuis longtemps dans un modèle de dépression induite par un conflit psychosocial et une subordination sociale (16). Les sujets ont subi un tel stress pendant 5 semaines, avec un traitement pendant les quatre dernières avec un véhicule ou l’antidépresseur tianeptine. Ainsi, d’une manière évidemment artificielle, le déroulement temporel du stress et du traitement antidépresseur modélise grossièrement ce que pourrait vivre un humain déprimé et médicamenté.
Les auteurs ont d’abord démontré que chez les animaux non traités par la tianeptine, le stress psychosocial induisait certaines altérations neurobiologiques et physiologiques rappelant celles observées chez les dépressifs humains. Le taux de cortisol basal a augmenté de ≈50%. La spectroscopie par résonance magnétique protonique du cerveau a indiqué une diminution de 13 à 15 % des mesures de la viabilité et de la fonction neuronales (le marqueur neuroaxonal N-acétyle-aspartate), du métabolisme cérébral (créatine et phosphocréatine) et du renouvellement des membranes (composés contenant de la choline). En revanche, aucun changement n’a été observé dans un marqueur glial de viabilité (myo-inositol). En outre, le stress psychosocial a entraîné une diminution d’environ 30 % de la prolifération de nouvelles cellules dans l’hippocampe. Enfin, un tel stress était associé à une tendance non significative à la diminution du volume total de l’hippocampe.
Puis, pour compléter l’histoire, les auteurs ont montré que la tianeptine prévenait plusieurs de ces changements induits par le stress. Il s’agissait notamment des altérations spectroscopiques, de l’inhibition de la prolifération cellulaire et d’une augmentation significative du volume de l’hippocampe (par rapport aux animaux stress + véhicule). Fait significatif (voir ci-dessous), la tianeptine n’a pas empêché l’augmentation des niveaux de cortisol induite par le stress.
Dans l’ensemble, ce sont des résultats impressionnants et importants. Czéh et al. ont montré qu’un modèle primate de « dépression » induite par le stress induit des signes de diminution du métabolisme et de la fonction neuronale, ainsi qu’une diminution de la prolifération cellulaire. De plus, le fait qu’il n’y ait eu qu’une tendance à la diminution du volume de l’hippocampe s’explique facilement comme reflétant la durée relativement courte du facteur de stress ; les études humaines suggèrent que l’atrophie de l’hippocampe n’est démontrable qu’après une dépression majeure de plusieurs années. Enfin, les auteurs montrent que le traitement antidépresseur prévient ces altérations neurobiologiques.
Naturellement, ces résultats soulèvent quelques questions, et un certain nombre de pièces de ce puzzle ne se mettent pas encore en place.
À première vue, une implication excitante de cette étude est la suggestion que la perte de volume de l’hippocampe dans la dépression prolongée provient de l’inhibition de la prolifération des cellules hippocampiques, et que le traitement antidépresseur normalise la première en prévenant la seconde. Cependant, les données minutieuses de Czéh et al. vont à l’encontre de cette idée, du moins dans leur modèle. La neurogenèse dans l’hippocampe adulte est limitée à la zone subgranulaire, et les neurones nouveau-nés ne semblent migrer que jusqu’à la couche granuleuse dentée voisine. Pour les néophytes de la neuroanatomie de l’hippocampe, cela signifie que la révolution de la neurogenèse adulte se produit entièrement dans une sous-section relativement petite de l’hippocampe ; l’ampleur de la neurogenèse adulte et le taux de renouvellement des neurones du gyrus denté adulte font l’objet d’un débat (17). Ainsi, si les changements du volume global de l’hippocampe sont secondaires à des changements dans la prolifération cellulaire, on pourrait prédire que (i) le stress psychosocial entraînerait une réduction marquée du volume de la couche de granules dentés et (ii) que la tianeptine préviendrait ce phénomène. Au lieu de cela, ni l’un ni l’autre n’a été observé.
Il n’est pas immédiatement évident de savoir dans quelle mesure ces résultats se généralisent à d’autres antidépresseurs. La grande majorité des antidépresseurs utilisés en clinique agissent en augmentant la disponibilité synaptique des neurotransmetteurs monoamines. Bien que les plus connus d’entre eux soient les inhibiteurs spécifiques du recaptage de la sérotonine, comme le Prozac, d’autres médicaments efficaces bloquent également le recaptage de la noradrénaline et/ou de la dopamine. De façon tout à fait proportionnelle à l’implication de la sérotonine, il existe des preuves qu’une disponibilité accrue de sérotonine peut stimuler la prolifération cellulaire dans l’hippocampe (18, 19). Cependant, la tianeptine est un antidépresseur nettement atypique (dont l’efficacité clinique est réputée limitée), qui augmente le recaptage de la sérotonine. Ainsi, il diminue les concentrations synaptiques de sérotonine, plutôt que de les augmenter.
Enchâssé dans les études cliniques humaines, il y a plus de preuves que ces résultats peuvent ne pas s’étendre automatiquement à d’autres antidépresseurs. Dans l’énoncé le plus large de ce que suggère l’étude actuelle, l’administration d’antidépresseurs peut non seulement guérir les symptômes affectifs de la dépression, mais aussi inverser certains corrélats neurobiologiques inquiétants de la dépression. Il convient toutefois de rappeler que les premières études établissant un lien entre la dépression et l’atrophie de l’hippocampe n’ont pas démontré cette atrophie chez les personnes déprimées. Au contraire, elles ont démontré ce lien chez des personnes en rémission de la dépression depuis des années ou des décennies, ces rémissions étant dues, dans la plupart des cas, à l’efficacité thérapeutique des antidépresseurs (2-4). La tianeptine n’a été introduite que récemment et n’est actuellement utilisée qu’en Europe. Ainsi, la littérature humaine (dans laquelle toutes les études provenaient de groupes basés aux États-Unis) suggère que l’atrophie de l’hippocampe peut encore se produire dans la dépression (et persister malgré la rémission de la dépression) chez les individus traités avec les antidépresseurs plus anciens et plus traditionnels.
Un dernier ensemble de questions tourbillonne autour de la question complexe des liens de causalité entre les corrélats découverts. Quels facteurs contribuent à la dépression et lesquels en sont les conséquences ? Un certain nombre de scénarios peuvent être construits. Dans le premier (Fig. 11A), un ensemble de facteurs en interaction impliquant le stress et une vulnérabilité biologique donne lieu à une dépression et aux symptômes affectifs qui lui sont associés (flèche 1). L’hypercortisolisme est présent chez environ la moitié des sujets. Une littérature abondante démontre que cet hypercortisolisme peut être à la fois une réponse aux facteurs de stress précédant la dépression (flèche 2) et à la dépression elle-même (flèche 3), et peut, à son tour, contribuer à la symptomatologie affective (flèche 4) (20). Dans ce modèle, ces symptômes donnent lieu aux anomalies de l’hippocampe (flèche 5), qui contribuent ensuite aux déficits cognitifs de la dépression durable (flèche 6).
Représentations schématiques de trois modèles différents mettant en relation les symptômes affectifs et cognitifs de la dépression avec les changements morphologiques et fonctionnels de l’hippocampe. Voir le texte pour une explication plus complète.
Dans un deuxième scénario connexe (Fig. (Fig.11B), les symptômes affectifs et l’hypercortisolisme apparaissent pour les mêmes raisons que dans la Fig. Fig.11A. Dans ce modèle, l’hypercortisolisme est directement responsable des altérations structurelles et fonctionnelles de l’hippocampe (Fig. (Fig.11B, flèche 5).
La plupart des chercheurs dans le domaine, je le soupçonne, souscriraient à une version de la Fig.11. A ou B. Certains chercheurs, cependant, ont proposé un modèle très différent (cf. réf. 21 ; Fig. 11C), un modèle dans lequel il y a une neurogenèse hippocampique altérée comme point de départ (reflétant une sorte d’anomalie de développement). Dans ce modèle, cette neurogenèse déficiente précède et prédispose à la dépression et à ses symptômes affectifs et cognitifs (Fig. 11C, flèche 1), et la perte du volume global de l’hippocampe est une conséquence directe de la neurogenèse déficiente (Fig. 11C, flèche 2). Dans les variantes de ce modèle, l’hypercortisolisme peut ou non précéder l’altération de la neurogenèse, et peut ou non y contribuer directement. La plupart des spécialistes semblent sceptiques à l’égard de ce modèle, en partie parce qu’il existe peu de raisons biologiques de relier le taux de neurogenèse dans l’hippocampe à des états affectifs tels que le chagrin, l’impuissance et l’anhédonie. De plus, il y a un problème de spécificité : alors que les antidépresseurs (en plus de souvent guérir les symptômes affectifs de la dépression) augmentent les taux de neurogenèse, le médicament lithium (en plus de souvent guérir les symptômes de la manie) augmente les taux de neurogenèse (22).
Que suggèrent les résultats de Czéh et al. à propos de ces modèles ? Compte tenu de la mise en garde évidente que le stress psychosocial chez les musaraignes arboricoles ne peut être identique à une dépression humaine majeure, ils suggèrent un certain nombre de choses. Leurs données correspondent bien à la figure 11A. Les résultats spécifiques ne permettent pas de distinguer si la tianeptine prévient les altérations de l’hippocampe en bloquant le lien entre le stress et la dépression affective (c’est-à-dire, Fig. 11A, flèche 1), ou en empêchant le lien entre les symptômes affectifs et l’hippocampe (Fig. 11A, flèche 5). Bien que l’on ne sache pratiquement rien de la biologie de ce qui pourrait créer la flèche 5 dans la Fig. 11A, la flèche 1 est bien comprise et constitue le principal point où l’on pense traditionnellement que les antidépresseurs exercent leur action.
Les données de Czéh et al. offrent également un soutien limité à la Fig. 11B. Les animaux « déprimés » de leur étude présentaient des taux élevés de cortisol. Cependant, comme on l’a noté, le traitement par la tianeptine n’a pas bloqué cet hypercortisolisme. Ainsi, si l’excès de cortisol contribue effectivement aux modifications de l’hippocampe (prémisse de la Fig. 11B), la tianeptine doit bloquer les effets du cortisol (c’est-à-dire Fig. 11B, flèche 5). Il est à noter qu’il a été démontré que divers antidépresseurs plus traditionnels diminuent les niveaux de cortisol (cf. réf. 23 et 24). On peut se demander s’ils y parviennent en atténuant la flèche 2 et/ou la flèche 3 de la figure 11B. On a également émis l’hypothèse que les antidépresseurs diminuent les symptômes affectifs de la dépression en bloquant la flèche 2, et donc la flèche 4 de la Fig. 11B (25).
Enfin, les données de Czéh et de ses collègues ne sont pas compatibles avec la Fig. 11C. De toute évidence, ils démontrent que dans une population de sujets choisis au hasard, le stress psychosocial, avec des symptômes de type dépressif comme facteur intermédiaire, peut altérer la neurogenèse hippocampique, une relation qui est opposée au flux des flèches de la Fig. 11C. Potentiellement, une version limitée de ce modèle pourrait tenir pour expliquer leurs données. Ce serait le cas si le sous-ensemble d’animaux commençant avec le taux basal de neurogenèse le plus bas était le plus vulnérable à ce modèle de stress psychosocial. Les techniques actuelles rendent impossible une telle étude prospective.
Il est évident que d’autres recherches sont nécessaires. Ce serait une aubaine pour la psychiatrie biologique si un antidépresseur pouvait prévenir certains des corrélats neurobiologiques de la dépression, en plus de soulager les symptômes affectifs. Mais des résultats tels que ceux-ci soutiennent également la bataille souvent difficile pour ceux qui étudient la dépression ou qui en souffrent, à savoir convaincre les autres qu’il s’agit d’un véritable trouble biologique, plutôt que d’une sorte de manque de courage ou d’esprit.