Utilisation intranasale de médicaments dans la salle d’urgence et les arènes pré-hospitalières

L’administration transmuqueuse de médicaments n’est pas un concept unique pour le système de santé. Les médicaments délivrés par un tel moyen comprennent les pastilles transmucosales de fentanyl, la nitroglycérine sublinguale et le DDAVP intranasal, et existent avec un grand succès clinique depuis de nombreuses années. L’administration intranasale (IN) de médicaments est un domaine d’intérêt relativement nouveau dans le domaine de l’administration transmuqueuse de médicaments, mais elle gagne en popularité dans le monde de la santé pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la cavité nasale possède un réseau vasculaire dense qui offre une voie directe vers la circulation sanguine pour les médicaments qui traversent facilement les muqueuses. Cette voie directe évite la destruction gastro-intestinale et le métabolisme de premier passage hépatique de ces médicaments, ce qui augmente efficacement leur biodisponibilité et leur rentabilité, tout en réduisant le délai d’action. La proximité du nez avec le cerveau entraîne également un équilibre plus rapide entre le sang et le liquide céphalo-rachidien et donc un délai d’action plus rapide qu’avec les voies conventionnelles. Enfin, les taux d’absorption et le temps nécessaire pour atteindre les concentrations plasmatiques maximales sont comparables à ceux de l’administration IV et sont généralement supérieurs à ceux des voies sous-cutanée ou intramusculaire.

L’utilisation de l’administration de médicaments par voie IN présente également un intérêt particulier pour les domaines de la médecine pré-hospitalière et d’urgence. En plus des raisons susmentionnées, l’administration de médicaments par voie IN est une technique supérieure car elle ne nécessite pas de technique stérile ou d’équipement invasif comme les cathéters intraveineux. Elle n’expose pas le praticien au risque de contamination par piqûre d’aiguille, en particulier dans des environnements tels qu’une ambulance en mouvement ou une salle de traumatologie chaotique. Il est immédiatement et facilement disponible pour tous les patients, qu’ils soient altérés ou combatifs. Par ailleurs, l’administration de médicaments par IN présente certains inconvénients dont le praticien doit être conscient. D’une part, un nombre limité de médicaments ont été étudiés en utilisant la voie IN. De nombreux médicaments ne sont pas suffisamment concentrés pour obtenir l’effet désiré par voie intranasale. De plus, l’effet clinique d’un médicament par voie IN dépend fortement de l’état de la muqueuse nasale du patient.

Le reste de ce chapitre abordera plus en détail le domaine en pleine expansion de l’administration de médicaments par voie IN, notamment en ce qui concerne l’anatomie et la physiologie, la pharmacocinétique, les méthodes d’administration de médicaments par voie IN et les médicaments spécifiques utilisés par cette méthode.

Considérations anatomiques et physiologiques

Pour comprendre pourquoi l’administration de médicaments par voie IN est une méthode si efficace d’administration de médicaments, il est important d’apprécier la structure et la fonction du nez lui-même. Le nez est surtout connu pour sa fonction primaire : l’olfaction. Cependant, il est également impliqué dans la filtration, le chauffage et l’humidification de l’air inhalé. L’air entre par les narines et traverse des cavités convolutées appelées turbines. Les turbines créent, comme leur nom l’indique, un flux turbulent qui est distribué à la muqueuse respiratoire nasale humide située au-delà. La surface totale de cette muqueuse est supérieure à 180 centimètres carrés, dont plus de 90 % sont considérés comme une muqueuse richement vascularisée participant au passage des fluides entre la muqueuse et l’épithélium sous-jacent. La vascularisation de cette région est extrêmement dense ; on y trouve plus de vaisseaux sanguins par gramme de tissu que dans le cerveau, le foie ou même le tissu musculaire.

Il est prouvé que les molécules qui traversent les cavités nasales et entrent en contact avec la muqueuse nasale sont absorbées non seulement dans la circulation sanguine, mais aussi directement dans le liquide céphalo-rachidien (Westin et al.). La muqueuse olfactive repose sur la plaque criblée et contient des cellules olfactives qui s’étendent à travers cette plaque directement dans le crâne. Les molécules qui sont absorbées de cette manière contournent la barrière hémato-encéphalique et s’équilibrent rapidement avec le liquide céphalo-rachidien. Cette voie d’administration est largement connue comme la voie « nez-cerveau » et a des implications importantes en ce qui concerne l’administration de médicaments à action centrale tels que les sédatifs, les antiépileptiques et les opiacés.

Facteurs pharmacocinétiques qui affectent l’efficacité

A part la compréhension de l’anatomie et de la physiologie de l’administration de médicaments par voie IN, il existe plusieurs principes généraux qui régissent la pharmacocinétique des médicaments administrés par voie intranasale.

Il existe plusieurs considérations physiques en ce qui concerne l’utilité et l’efficacité de l’administration de médicaments par voie IN. Pour un effet optimal, le volume administré par la méthode IN est critique ; un volume trop faible sera potentiellement inefficace, tandis qu’un volume trop important provoquera un écoulement nasal. Il est clair que plus la surface de la muqueuse est grande, plus la quantité de médicament pouvant être absorbée est importante. En divisant la dose en deux et en administrant une demi-dose dans chaque narine, on peut augmenter efficacement la surface d’absorption ; le volume idéal de médicament pour l’administration d’IN est de 0,25 à 0,3 ml par narine. Une distribution mécanique optimale de l’administration de l’IN est également essentielle à son efficacité. Des essais utilisant des gouttes nasales, des nébuliseurs à flacon plastique, des pompes d’atomisation et des aérosols pressurisés démontrent que la pompe d’atomisation est le moyen le plus efficace de fournir une dose constante de médicament IN avec une distribution muqueuse acceptable (Mygind et Vesterhauge). L’atomisation prépare le médicament en particules solubles dont la taille est optimale pour l’absorption par la muqueuse nasale (2-10 micromètres) ; les particules trop grosses formeront des dépôts sur la muqueuse nasale, tandis que les particules trop petites passeront à travers la cavité nasale et dans les poumons.

Les facteurs anatomiques sont également cruciaux pour déterminer l’efficacité de l’administration d’IN. Un état optimal de la muqueuse nasale, y compris le flux sanguin dans la région, assure une absorption et une distribution adéquates. Les traumatismes, la chirurgie et la destruction de la muqueuse nasale induite par la cocaïne affectent tous ces paramètres. De même, les patients présentant une épistaxis excessive ou une production excessive de mucus poseront des difficultés pour une administration adéquate des médicaments IN.

Un autre facteur important influençant l’efficacité des IN est la biodisponibilité, c’est-à-dire la fraction du médicament administré qui atteint le tissu cible. La biodisponibilité dépend de divers facteurs, notamment des propriétés physicochimiques d’un médicament, comme son poids moléculaire, sa lipophilie et son pKa, ainsi que de la formulation du médicament. Par exemple, les médicaments lipophiles de faible poids moléculaire qui ne sont pas chargés et dont le pH est proche de 7 traversent facilement les membranes cellulaires (muqueuses, membranes vasculaires, barrière hémato-encéphalique) et atteignent la circulation sanguine et le liquide céphalo-rachidien voisin. Il est également important de comprendre que les médicaments administrés par voie IN éviteront le métabolisme de premier passage et auront une biodisponibilité plus élevée que s’ils sont administrés par voie orale.

Les préparations optimales pour l’administration par voie IN sont des formulations solubilisées de médicaments, dans les dosages les plus concentrés disponibles. Une compilation des médicaments IN fréquemment utilisés est disponible en ligne sur http://intranasal.net/Treatmentprotocols/default.htm. Les dosages recommandés sont basés sur la littérature actuelle, les protocoles de traitement de plusieurs hôpitaux et des rapports anecdotiques. Veuillez noter que l’utilisation de médicaments par administration IN est hors indication et que les doses peuvent varier d’un patient à l’autre et dans différents scénarios cliniques.

Méthodes d’administration intranasale de médicaments

Il existe plusieurs méthodes d’administration de médicaments par IN, certaines plus difficiles que d’autres. La méthode optimale est celle qui est confortable pour le patient qui maximise l’administration du médicament et la sécurité du professionnel de santé qui l’administre.

La méthode la plus basique d’administration de médicaments à la muqueuse nasale est celle du sniff. Cette méthode est employée par les consommateurs de drogues illicites et consiste à  » renifler  » une forme en poudre hautement concentrée de drogue ou de médicament par une narine, avec une absorption ultérieure du médicament par la muqueuse nasale. Cette méthode d’administration de médicaments est inconfortable et nécessite la participation active et volontaire du patient, et pour cette raison, elle est moins souhaitable.

Une autre manière d’administrer des médicaments par voie IN consiste à instiller le médicament sous forme de liquide dans le nez à l’aide d’un compte-gouttes ou d’une seringue. Dans la plupart des cas, les études ont montré qu’il s’agissait d’une méthode efficace d’administration de médicaments. Cependant, les inconvénients comprennent une surface relativement faible de la muqueuse pour l’absorption et le ruissellement du médicament dans l’arrière-gorge. Cette méthode d’administration nécessite un patient couché qui est docile et qui ne se mouchera pas immédiatement après l’administration du médicament.

Une technique plus efficace pour l’administration de médicaments IN est l’administration par atomisation, ou pulvérisation. Une seringue ou une pompe à dose unitaire de médicament est attachée à un embout atomiseur qui pulvérise le médicament en fines particules lorsqu’il quitte le réservoir. Des études ont montré que les atomiseurs optimisent la distribution du médicament à travers la muqueuse nasale et entraînent une augmentation globale de la biodisponibilité du médicament. En outre, l’atomiseur est plus « convivial », tant pour le patient que pour le prestataire de soins. Les patients n’ont pas besoin d’être dans une certaine position, et le temps d’administration est si rapide que les contentions ne sont pas nécessaires. Comme le médicament est atomisé en un fin brouillard, il est moins susceptible d’être expulsé du nez par le patient avant d’être absorbé. Il existe aujourd’hui plusieurs dispositifs commerciaux permettant d’atomiser les médicaments pour une administration par voie IN, notamment l’Accuspray Nasal AtomizerTM, le MAD (Mucosal Atomization DeviceTM), l’OptinoseTM et l’Atomiseur électronique ViaNasaTM.

Médicaments utilisés par voie intranasale

Il existe de nombreuses classes de médicaments qui peuvent être utilisés par voie intranasale, dont beaucoup sont applicables au milieu préhospitalier et d’urgence. Ces médicaments comprennent les antiépileptiques, les analgésiques opiacés et les antagonistes des opiacés, les sédatifs, les anesthésiques topiques, le glucagon pour l’hypoglycémie et les agents pour le contrôle de l’épistaxis. De nombreux nouveaux médicaments, ou de nouvelles utilisations de médicaments courants par voie IN, sont découverts chaque jour. Naturellement, les médicaments à action rapide sont les plus souhaitables pour une utilisation dans un environnement de soins aigus. L’utilisation par voie IN de médicaments spécifiques dans le cadre préhospitalier ou d’urgence est abordée ci-dessous.

Les antiépileptiques sont particulièrement utiles par voie IN dans le cadre d’un état épileptique, lorsque l’arrêt rapide de l’activité convulsive est primordial. Les benzodiazépines sont fréquemment utilisées dans l’arrêt des crises intraitables, et le lorazépam et le midazolam ont été utilisés par voie IN pour arrêter l’état épileptique. Ce sont des médicaments intéressants à administrer par voie intranasale car ils traversent facilement la muqueuse nasale et la barrière hémato-encéphalique, et ils sont facilement administrés par voie IN lorsqu’il est difficile d’obtenir un accès IV sur un patient en crise. Des études comparant le midazolam par voie IN à d’autres voies d’administration pour l’arrêt immédiat des crises chez les enfants ont montré une efficacité et une sécurité égales ou supérieures. Plusieurs études ont conclu que le midazolam administré par voie intraveineuse est plus efficace pour l’arrêt des crises, plus pratique et plus acceptable socialement, et que son profil de sécurité est au moins équivalent à celui du diazépam administré par voie rectale chez l’enfant (Scott et al., Camfield et al. et Holsti et al.). La comparaison entre le midazolam IN et le diazépam IV pour l’arrêt des crises chez les enfants montre une sécurité et une efficacité égales, mais le midazolam IN a un temps d’arrêt des crises plus court, principalement en raison du temps nécessaire pour obtenir un accès IV (Lahat et al., Mahmoudian et Zadeh). D’autres études fournissent des preuves de la sécurité et de l’efficacité de l’IN midazolam pour l’arrêt des crises chez les enfants à domicile (Wilson et al., Harbord et Holsti). Une petite étude réalisée en Afrique a trouvé une efficacité accrue du lorazépam IN par rapport au paraldéhyde IM (un médicament antiépileptique commun dans de nombreux pays non développés) (Ahmad et al).

Un certain nombre d’études ont abordé la sécurité et l’efficacité de l’administration de médicaments IN pour la sédation procédurale légère dans la salle d’urgence. Une étude comparant le midazolam par voie IN au midazolam et à la kétamine par voie IV a montré une efficacité accrue et une facilité de titrage avec les médicaments administrés par voie IV ; cependant, une sédation adéquate a été obtenue chez 92% des patients avec le midazolam par voie IN, et le délai de sortie était de 19 minutes plus rapide dans ce groupe (Acworth et al.). Le sufentanil et le midazolam IN se sont avérés tout aussi sûrs et plus efficaces pour la sédation des patients pédiatriques lors de réparations de lacérations que le demerol IM, la prométhazine et la chlorpromazine, tout en réduisant les temps de récupération et le délai de sortie (Bates et al.). Il est intéressant de noter que l’utilisation du midazolam par voie IN n’est pas associée à une dépression respiratoire comme c’est le cas avec le midazolam par voie IV ; ceci est attribué à un taux d’absorption plus stable et régulier à travers la muqueuse par rapport à l’apparition rapide d’un bolus IV.

Il existe également des preuves de l’efficacité des médicaments par voie IN chez les adultes agités et/ou psychotiques florides. Traditionnellement, l’administration IM est préférée à l’administration IV étant donné la difficulté d’établir un accès IV chez un patient non coopératif. Cependant, une méthode alternative à l’administration IM est préférable étant donné le risque de piqûre d’aiguille pour le prestataire de soins. En raison de la difficulté d’obtenir le consentement éclairé pour un essai comparant les méthodes traditionnelles à l’administration par voie IN chez ces patients, les données actuellement disponibles sont très limitées. Il existe de petites études examinant l’efficacité de l’IN midazolam ou lorazepam chez des patients psychiatriques avec un succès modéré (Neff et al. et Wermeling et al.), mais le faible nombre de sujets rend difficile l’extrapolation à de grandes populations. Les premiers résultats suggèrent que l’halopéridol IN peut être une méthode sûre et efficace de sédation des patients très agités dans le contexte préhospitalier ou d’urgence, avec des niveaux sériques maximaux et une sédation dans les 15 minutes (Miller et al.).

Enfin, l’option d’un médicament IN pour une livraison rapide pour l’analgésie est d’un intérêt particulier pour les prestataires de soins de santé dans le contexte préhospitalier et d’urgence, car la douleur aiguë est très fréquente dans ces environnements. L’administration de médicaments analgésiques par voie intranasale, en particulier pour les opiacés, s’est avérée être une alternative rapide et simple à l’administration de médicaments par voie intramusculaire ou intraveineuse. Des études ont montré que les opiacés administrés par voie intranasale ont un temps d’action similaire à ceux administrés par voie intraveineuse, et ont l’avantage supplémentaire d’être simples à administrer et indolores pour le patient. D’autre part, certaines recherches et expériences cliniques ont suggéré que les opiacés administrés par voie intranasale peuvent présenter de grandes variations dans les effets cliniques, et peuvent donc être plus dangereux à utiliser que les voies d’administration conventionnelles. Les partisans de l’administration d’opiacés par voie IN soutiennent qu’il existe une grande variabilité entre les patients en ce qui concerne les effets cliniques des opiacés administrés par voie intraveineuse, orale ou intramusculaire, et que cela ne devrait pas a priori empêcher l’utilisation de l’administration d’opiacés par voie IN. En outre, la variabilité potentiellement importante de l’opérateur dans l’administration de médicaments par voie IN peut être minimisée par la normalisation du dosage et de la méthode (Dale, Hjortkjaer et Kharasch). Malgré ces controverses, de nombreuses études ont montré l’utilité de l’administration d’opiacés par voie intraveineuse dans des contextes préhospitaliers et d’urgence, notamment l’utilisation de fentanyl et de kétamine par voie intraveineuse pour le changement de pansements de brûlures, de diamorphine par voie intraveineuse pour les patients atteints de drépanocytose, de fentanyl par voie intraveineuse pour les patients transportés en ambulance et de fentanyl par voie intraveineuse pour les patients pédiatriques souffrant de douleurs (Telfer et al., Rickard et al., autres). La plupart de ces études ont donné des résultats clairs en faveur de l’utilisation des opiacés IN. Dans la même veine, les antidotes IN aux narcotiques et aux benzodiazépines (tels que la naloxone et le flumazénil, respectivement), ont été testés de manière limitée, mais avec de bons résultats.

Résumé

L’administration de médicaments par voie intranasale présente un grand intérêt pour la communauté médicale. L’administration de médicaments par voie IN permet de délivrer rapidement des médicaments à un plexus vasculaire riche pour une absorption rapide dans la circulation sanguine et même directement à travers la plaque criblée vers le liquide céphalo-rachidien pour une absorption rapide dans le cerveau. Cette méthode de médication est très utile dans le domaine des soins médicaux préhospitaliers et d’urgence, où l’on souhaite un effet rapide du médicament et où il est souvent difficile d’obtenir un accès pour l’administration du médicament par d’autres voies. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, il existe des précédents d’utilisation de l’administration intranasale pour les antiépileptiques, les analgésiques opiacés et les antagonistes des opiacés, la sédation procédurale et la sédation des patients agités. Bien que ces études soulignent l’efficacité et la sécurité de l’administration de médicaments par voie intranasale, d’autres études cliniques sont nécessaires dans des domaines particuliers, tels que la sédation du patient agité.

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