L’affaire Fashoda de septembre 1898 est le produit de tensions de longue date entre la Grande-Bretagne et la France concernant leur influence relative en Egypte. Depuis le règne de Louis XIV (1643-1715), la France nourrissait l’ambition de construire un canal à travers l’isthme de Suez, reliant la Méditerranée à la mer Rouge et raccourcissant considérablement les routes commerciales entre l’Europe et l’Asie. C’est ainsi qu’en 1858, les intérêts commerciaux français, soutenus par le gouvernement français, ont créé la Compagnie du canal de Suez. Détenue conjointement par les Français et le khédive d’Égypte, la société a achevé le canal en 1869. Au départ, le gouvernement britannique a tenté de contrecarrer ce projet de grande envergure. Cependant, alors que le gouvernement égyptien s’endette de plus en plus dans les années 1860 et 1870, la Grande-Bretagne commence à acheter des parts égyptiennes dans la Suez Canal Company, renforçant ainsi l’autorité britannique dans le pays. Au milieu des années 1870, l’Égypte étant de plus en plus incapable de payer les intérêts de ses prêts en cours, les finances du pays sont placées sous contrôle anglo-français. Lorsque cette suzeraineté européenne croissante a conduit à de violents soulèvements nationalistes en 1882, la Grande-Bretagne est intervenue militairement. Le gouvernement français, divisé, refuse de participer. En conséquence, les Britanniques s’établirent comme les dirigeants de facto de l’Égypte, suscitant le ressentiment de nombreux dirigeants politiques français.
Pendant les quinze années suivantes, la Grande-Bretagne maintint son autorité en Égypte tout en luttant pour supprimer les derviches fondamentalistes islamiques plus au sud, au Soudan. La menace émanant de cette région devient particulièrement aiguë en mars 1896, lorsque les forces éthiopiennes, assistées de conseillers français et russes, défont une armée italienne à Adowa. Cette victoire fait naître la perspective d’une intrusion française et russe dans les territoires britanniques d’Afrique orientale, ainsi que d’une alliance entre l’Éthiopie et des éléments musulmans fondamentalistes au Soudan. Le gouvernement britannique dépêche le major-général Sir Horatio Herbert Kitchener (1850-1916 ; plus tard comte Kitchener de Khartoum) avec un corps expéditionnaire qui défait les derviches à Omdurman le 2 septembre 1898. Après avoir appris la présence d’une force française plus en amont du Nil, Lord Kitchener remonte le fleuve et rencontre le petit détachement français à Fashoda le 19 septembre. Cette force, commandée par le capitaine Jean-Baptiste Marchand, avait été envoyée à la source du Nil pour trouver un emplacement approprié pour un barrage qui détournerait le fleuve et saperait le contrôle britannique de l’Égypte. Une impasse s’ensuit, les gouvernements français et britannique refusant de céder. L’opinion publique des deux pays est de plus en plus agitée. Cependant, la guerre n’a jamais été une issue probable de la confrontation. Dépassée en nombre sur le terrain au Soudan et dépassée par la marine royale en mer, la France n’a guère eu d’autre choix que de reculer et d’ordonner le retrait de la force de Marchand le 3 novembre 1898.
Fashoda a représenté un point bas dans les relations anglo-françaises à la fin du XIXe siècle. Néanmoins, il a encouragé les deux puissances européennes à désamorcer leurs rivalités en Afrique et à signer l’Entente cordiale de 1904. Théophile Delcassé, le ministre français des Affaires étrangères de 1898 à 1905, a reconnu que la France ne pouvait pas risquer une confrontation directe avec la Grande-Bretagne en Afrique de l’Est, en particulier lorsque le principal allié de la France, la Russie, n’était pas prêt à fournir une assistance. Ainsi, en mars 1899, la France a signé une convention qui renonçait effectivement à ses revendications sur le Nil supérieur. Selon ce document, les sphères d’influence britannique et française dans la région seraient marquées par les bassins versants du Nil et du Congo, respectivement. La volonté de la France de concéder l’influence de la Grande-Bretagne sur le Nil encouragea les Britanniques à soutenir les revendications françaises ailleurs en Afrique.
Les préoccupations croissantes concernant la politique étrangère agressive de l’Allemagne et l’expansion de la marine allemande renforcèrent le désir de la Grande-Bretagne d’aplanir les différends avec les Français, d’autant plus que la France pouvait également faciliter de meilleures relations entre la Grande-Bretagne et la Russie. La Grande-Bretagne abandonne progressivement sa politique d’encouragement à l’indépendance du Maroc. Le 8 avril 1904, les deux pays signent une série d’accords dans lesquels la France reconnaît l’influence britannique sur l’Égypte. Les affaires financières de l’Égypte restant sous la gestion d’un comité international comprenant un représentant français, cette concession est cruciale pour permettre à la Grande-Bretagne de consolider son contrôle sur le pays. Les Britanniques rendent la pareille en reconnaissant l’influence française sur le Maroc. L’Entente cordiale, comme on appelle les accords, lève les ambiguïtés dans les deux principales régions d’Afrique où l’influence européenne est encore contestée. Ce faisant, elle a contribué à mettre fin à la « ruée vers l’Afrique » qui avait prévalu entre les puissances européennes depuis la conférence de Berlin de 1884-1885. De nombreux historiens considèrent donc l’affaire Fashoda comme un tournant dans les relations franco-britanniques. L’impasse au Soudan a mis en lumière la rivalité anglo-française en Afrique, permettant à la Grande-Bretagne et à la France de négocier des solutions à des différends spécifiques et de développer des relations plus étroites dans le processus.
Voir aussiConférence de Berlin ; Delcassé, Théophile ; Égypte ; France ; Grande-Bretagne ; Impérialisme ; Kitchener, Horatio Herbert.
bibliographie
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Otte, Thomas. « L’équilibre insaisissable : La politique étrangère britannique et l’Entente française avant la Première Guerre mondiale. » In Anglo-French Relations in the Twentieth Century : Rivalry and Cooperation, édité par Alan Sharp et Glyn Stone. New York, 2000. Une analyse des facteurs spécifiques qui ont contribué à l’entente anglo-française de 1904.
Nikolas Gardner
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