La littérature anglaise au début du XVIIe siècle

Un siècle de grandeur.

Au début du XVIe siècle, alors que le New Learning de la Renaissance faisait des incursions en Angleterre, peu de signes étaient présents de l’énorme floraison qui allait bientôt se produire dans la langue et la littérature du pays. Pendant la majeure partie de la fin du Moyen Âge, l’Angleterre était restée l’un des arrière-pays les plus isolés d’Europe, et sa langue, bien qu’elle ait atteint un niveau d’art élevé dans les œuvres du Moyen Âge tardif de Chaucer et d’autres auteurs, était encore très différente des formes littéraires riches et malléables qui allaient être déployées par Shakespeare et ses contemporains élisabéthains. Au cours du XVIe siècle, le monde de la politique internationale ainsi que les circonstances religieuses ont contribué à propulser l’Angleterre au rang des grandes puissances européennes. Si le statut du pays est nettement inférieur à celui de l’Espagne des Habsbourg, Élisabeth Ier parvient néanmoins à défier cette puissance en battant l’Armada espagnole en 1588, ainsi que son rival Philippe II. Et si la puissance anglaise sur la scène internationale n’a peut-être pas approché celle de la France sous les monarchies des Valois et des Bourbons, l’époque élisabéthaine a tout de même connu une paix et une sécurité relatives, alors que la France, les Pays-Bas et d’autres parties de l’Europe étaient en proie à des guerres de religion. Pendant cette ère de stabilité relative, le théâtre et la littérature anglais ont connu un développement sans précédent, développement qui s’est poursuivi dans les années qui ont suivi la mort d’Elizabeth en 1603, malgré la détérioration du climat politique et religieux dans le pays. L’ère élisabéthaine a vu naître les pièces de Christopher Marlowe (1564-1593), de William Shakespeare (1564-1616), de Thomas Kyd (1558-1594) et d’une lignée distinguée d’auteurs de moindre importance qui ont permis de cultiver un large public pour le théâtre en Angleterre. Elle a vu la création du Faerie Queene d’Edmund Spenser (vers 1552-1599) et les œuvres d’un certain nombre de poètes de haut niveau. Cette période a également permis le développement de nombreux poètes et dramaturges, comme Ben Jonson (1572-1637), dont la carrière s’inscrit davantage dans l’ère Stuart qui lui a succédé que dans le règne d’Elizabeth I. Et bien que l’accession de Jacques Ier, roi Stuart d’Ecosse, au trône d’Angleterre en 1603 ait mis fin à la relative tranquillité domestique des dernières années d’Elizabeth, il n’y a pas eu de diminution soudaine du déferlement de la littérature au début du XVIIe siècle. Le règne de Jacques Ier, par exemple, continue d’être une ère de réalisations ininterrompues et régulières, même si les différends sur la religion ne tardent pas à surgir et à se combiner à des débats furieux sur les droits et prérogatives respectifs du Parlement et de la Couronne. Les premiers signes de ces nouvelles tensions apparaissent peu après l’arrivée de Jacques Ier (r. 1603-1625) en Angleterre. Lors de son voyage entre l’Écosse et Londres, Jacques se voit remettre par les puritains anglais la pétition du millénaire, une série de demandes de réformes plus importantes de l’Église d’Angleterre. Pourtant, lors de la conférence qu’il a convoquée pour examiner ces demandes au palais de Hampton Court plusieurs mois plus tard, le roi a rejeté la plupart de ces demandes, jetant ainsi les bases du début d’une aliénation entre le roi et ses sujets puritains qui s’est aggravée avec le temps. La découverte du complot de la Poudre à canon en 1605, un plan avorté prétendument orchestré par des catholiques pour faire sauter les Chambres du Parlement à Westminster, a également entraîné une persécution déterminée de la minorité catholique du pays. Dans les années qui ont suivi, Jacques et son fils et successeur Charles Ier (r. 1625-1649) se sont constamment disputés avec les élites dirigeantes du pays, insistant sur leur capacité à lever des impôts sans le consentement du Parlement et à régner comme des monarques absolutistes continentaux, sans jamais l’établir efficacement. En dépit de ces problèmes, qui finirent par provoquer les guerres civiles anglaises des années 1640 et l’exécution de Charles Ier en 1649, le début de la période Stuart fut une période d’accomplissement littéraire continu. Ces réalisations peuvent être vues dans la vitalité de la scène londonienne ainsi que dans la poésie et la prose de l’époque.

La version autorisée de la Bible.

Une note distinctive d’unanimité relative dans les eaux autrement troublées de la religion et de la politique au début de l’ère Stuart a impliqué la préparation et l’acceptation d’une nouvelle traduction de la Bible en anglais, un travail qui a été achevé avec la publication de la version dite autorisée de 1611. Ce texte, longtemps connu en Amérique du Nord sous le simple nom de King James Version, était l’aboutissement des efforts que le roi avait sanctionnés lors de la Conférence de Hampton Court de 1604, organe composé de personnalités ecclésiastiques et politiques réunies pour examiner la pétition millénaire des puritains, ainsi que d’autres questions concernant l’Église d’Angleterre. Le texte qui en résulta devint peut-être l’œuvre la plus importante de la prose anglaise, contribuant à établir une cadence et une sensibilité métaphorique qui firent de profondes incursions dans la littérature des XVIIe et XVIIIe siècles et qui perdurèrent dans les siècles suivants. Bien que les puritains aient soutenu l’idée d’une nouvelle Bible anglaise, Jacques Ier a rapidement accordé au programme son aide enthousiaste. Pour mener à bien cette tâche gigantesque, 54 traducteurs ont finalement été invités à faire partie de six équipes de traduction différentes, deux centrées à Londres et deux autres dans les universités de Cambridge et d’Oxford. Chaque équipe a compilé ses traductions et les a ensuite soumises à un comité de surveillance central pour approbation. Pour mener à bien leur travail, les traducteurs de la version autorisée n’ont pas créé une traduction entièrement nouvelle, mais se sont appuyés sur de nombreuses bibles anglaises antérieures publiées au XVIe siècle. Ils ont consulté, en d’autres termes, la « Bishops’ Bible », une édition du livre qui avait été imprimée pour la première fois pour les églises d’Angleterre en 1568, et qui a ensuite été rendue obligatoire dans toute l’Église d’Angleterre. En même temps, ils s’appuyaient sur la Bible dite de Genève de 1560, un ouvrage très apprécié des puritains en raison du commentaire explicite d’inspiration calviniste qui accompagnait le texte. Deux autres sources étaient les traductions quelque peu antérieures de Miles Coverdale, ainsi que celle de William Tyndale. La traduction de Tyndale du début du XVIe siècle, bien qu’incomplète, faisait preuve d’une grande érudition dans sa transcription du texte en anglais, et son influence est restée déterminante dans de nombreux cas dans la version autorisée, bien que l’influence de la Bible de Genève ait également été vitale. Un édit royal interdit expressément aux traducteurs d’inclure tout commentaire calviniste de la version genevoise, signe que Jacques, comme Élisabeth avant lui, avait l’intention d’orienter l’Église d’Angleterre sur une voie médiane entre les formes plus radicales du protestantisme et du catholicisme.

Succès de la Bible du roi Jacques.

Le texte résultant n’a peut-être pas plu à tous les milieux de l’Église d’Angleterre en proie à des difficultés lors de sa parution en 1611, et de nombreuses congrégations puritaines ont continué à s’appuyer sur la Bible de Genève pendant des années. Mais la traduction a satisfait suffisamment de membres de l’Église d’Angleterre pour qu’elle devienne rapidement la version commune de la Bible dans les églises du pays. Bien qu’elle porte le titre de « version autorisée », aucun édit royal n’a jamais exigé son utilisation. Pourtant, elle est devenue la version acceptée de la Bible, non seulement en Angleterre, mais aussi en Écosse, un pays dont l’Église réformée est très différente et dont la langue anglaise est très différente de celle de la partie sud de l’île. De cette façon, la version du roi Jacques a fourni d’importants liens de continuité entre ces différentes parties du monde anglophone, et à mesure que l’Angleterre devenait une puissance coloniale, le texte était transporté aux quatre coins du monde. Ce faisant, elle a contribué à forger un patrimoine littéraire commun entre des peuples qui, autrement, auraient été largement séparés par des différences linguistiques. Et bien que la version autorisée ait finalement été remplacée aux XIXe et XXe siècles par une série de révisions, elle a continué à définir la manière dont la plupart des peuples anglophones perçoivent la Bible comme un texte sacré. Pour cette raison, la version du roi Jacques continue d’être embrassée encore aujourd’hui comme la traduction de la Bible faisant autorité par de nombreuses sectes protestantes conservatrices en Angleterre, en Amérique et dans le monde entier.

Littérature religieuse et sermons.

Si la version du roi Jacques de la Bible a touché une corde sensible d’une unanimité inhabituelle dans l’Angleterre divisée du début du XVIIe siècle, d’autres différends de l’époque concernant la religion sont rapidement devenus la matière à partir de laquelle de nouvelles formes littéraires ont été façonnées. L’église anglaise du XVIIe siècle a produit un énorme flot de sermons et de littérature dévotionnelle imprimés, écrits à la fois par des puritains de tous bords et par des anglicans attachés à la voie médiane entre le catholicisme et le protestantisme. Pour publier un livre imprimé dans l’Angleterre élisabéthaine et Stuart, l’État exigeait que les textes soient soumis à la Stationer’s Guild, une institution médiévale chargée depuis le milieu du XVIe siècle d’administrer un appareil d’inspection et de censure. Bien sûr, les auteurs et les imprimeurs imprimaient parfois des œuvres sans les soumettre à ces canaux officiels, mais les peines encourues en cas de refus étaient importantes. En 1620, la moitié des œuvres enregistrées dans les registres de la Stationers’ Guild étaient de nature religieuse, et cette portion consistait en des tracts polémiques défendant la doctrine ou le point de vue de chacun sur les réformes de l’église, des livres de dévotion et des sermons. L’une des questions qui divisait les puritains des anglicans engagés – c’est-à-dire des partisans inconditionnels de la colonisation de l’Église d’Angleterre – concernait la prédication des sermons. Pour de nombreux divins puritains, la prédication était une obligation qui devait être menée de manière extemporanée afin que le ministre puisse révéler la Parole de Dieu sous l’inspiration du Saint-Esprit. Les prières imprimées, comme celles du Book of Common Prayer de l’Église, ainsi que les sermons écrits utilisés par les ministres engagés de l’Église d’Angleterre, heurtaient la sensibilité de puritains déterminés, car ils semblaient tenter d’enfermer et de limiter le pouvoir même de la Parole de Dieu et du Saint-Esprit. Les puritains engagés qui s’en remettaient à un discours extemporané à l’église prenaient cependant souvent soin d’enregistrer leurs paroles après leurs sermons et de préparer des éditions imprimées de leurs textes. En outre, la concurrence entre anglicans et puritains a donné lieu à un déferlement constant d’ouvrages de dévotion, les puritains comme les anglicans engagés cherchant à convaincre les lecteurs de la justesse de leurs positions respectives concernant l’église et la vie chrétienne. Du côté puritain, des hommes comme Richard Baxter (1615-1691) ont composé de beaux textes de dévotion, des best-sellers comme son The Saint’s Everlasting Rest (1650), qui ont été consommés dans de nombreuses éditions. Et tandis que les ecclésiastiques puritains comme Baxter attaquaient les partisans de l’Église d’Angleterre comme promoteurs d’un formalisme aride et sans esprit, les preuves suggèrent qu’ils n’étaient pas des cibles aussi faciles.

Littérature dévotionnelle anglicane.

Tout au long du XVIIe siècle, les anglicans engagés ont produit un flux constant de littérature religieuse et dévotionnelle qui visait à inspirer la « sainteté » chez les lecteurs. L’attitude anglicane à l’égard de la piété chrétienne, bien que très différente des traitements systématiques hautement définis et souvent théologiquement sophistiqués des divins puritains, n’en était pas moins fermement chrétienne dans sa perspective. Les anglicans engagés cherchaient à présenter des images de la vie chrétienne et de son cycle de péché, de pardon, de mort et de résurrection de manière à inciter les fidèles à se repentir et à modifier leur vie. Entre les mains de ses partisans les plus pressants, des hommes comme l’archevêque William Laud (1573-1645) qui devint un persécuteur enthousiaste des puritains sous le règne de Charles Ier, ces appels à la sainteté valurent à l’anglicanisme une image durable d’intolérance. Pourtant, l’Église d’Angleterre a également nourri, au début du XVIIe siècle, de nombreux auteurs qui ont habilement défendu ses positions et qui ont créé une littérature de dévotion religieuse qui n’a cessé de susciter l’admiration à travers les siècles. Parmi ces personnalités, les œuvres de Jeremy Taylor (1613-1667), Henry Vaughan (1621-1695) et Thomas Traherne (1637-1674) ont fourni des défenses majestueuses et profondes des principes de l’anglicanisme à un moment troublé de l’histoire de l’Église. Bien que les œuvres de ces personnages soient rarement lues aujourd’hui en dehors des rangs des spécialistes de la littérature, cette période a également produit John Donne (1573-1631) et George Herbert (1593-1633), qui sont toujours considérés comme des auteurs et des poètes de premier plan, et qui ont utilisé leur éloquence pour défendre l’établissement anglican. Donne a longtemps exercé un attrait pérenne, en partie parce que ses œuvres résumaient les dilemmes religieux et philosophiques de son époque d’une manière qui élevait ces préoccupations en méditations intemporelles sur l’esprit humain et ses mécontentements.

Donne.

Les circonstances de la vie de Donne étaient imprégnées des disputes et des controverses que la Réforme continuait d’inspirer à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle en Angleterre. Né dans une famille catholique éminente, il a été scolarisé à la maison par des professeurs catholiques avant d’entrer à Oxford et peut-être un peu plus tard à Cambridge. Empêché de passer un diplôme en raison de son catholicisme, il semble avoir voyagé pendant un certain temps à travers l’Europe avant de renier sa foi et de devenir membre de l’Église d’Angleterre en 1593. Son zèle religieux dans ces premières années est toutefois éclipsé par un goût pour l’aventure, et à la fin des années 1590, Donne entreprend même plusieurs voyages avec l’aventurier Sir Walter Raleigh. Il participe à la mise à sac du port de Cadix en Espagne par les forces de Raleigh en 1596 et se rend l’année suivante aux Açores avec la même force à la recherche de butin espagnol. De retour chez lui après ces aventures, il commence à s’élever dans le monde de la politique en tant que secrétaire privé de Sir Thomas Egerton, un homme d’État important dans l’Angleterre élisabéthaine. Il finit par être élu au Parlement grâce aux grâces d’Egerton, mais en 1601, un désastreux mariage secret avec Ann More, la nièce de la femme d’Egerton, coupa court à sa carrière politique. Il fut emprisonné pendant un certain temps, et passa les années qui suivirent à essayer sans succès de réhabiliter sa réputation. Son mariage clandestin et non sanctionné le rendait inapte à la vie politique publique, et pendant près de quinze ans, lui et sa femme ont vécu du patronage d’amis et d’associés. Finalement, Jacques Ier lui suggère d’entreprendre une carrière dans l’église plutôt que dans les affaires publiques, et en 1615, il est ordonné prêtre et reçoit une nomination cléricale du roi. Jacques contraint l’université de Cambridge à accorder à Donne un doctorat en théologie et, fort de ces titres, il commence à acquérir une série de postes dans l’église de Londres. Il finit par devenir doyen de St. Paul’s cathedral, et à ce titre, il est devenu l’un des prédicateurs les plus influents du XVIIe siècle. Son style, tant dans ses poèmes – qu’il écrivait presque exclusivement pour le divertissement privé plutôt que pour la consommation publique – que dans ses sermons, se distingue par l’abandon des « phrases douces et fondantes » préférées des auteurs élisabéthains. À ce style élégant et léger, Donne préférait un langage dramatique, profondément intellectuel, souvent truffé de tournures énergiques qui déploraient et pourtant glorifiaient la mort et la résurrection de l’esprit humain. En tant que prédicateur, sa capacité à créer des métaphores et des tournures de phrases qui résument les dilemmes spirituels de l’époque lui a valu un énorme soutien de la part des Londoniens, tout en illustrant les possibilités qui pouvaient exister dans la piété anglicane. Pour des générations, l’aspect intensément intellectuel, philosophique et métaphysique de l’écriture de Donne a été résumé dans ses Devotions upon Emergent Occasions (1624), les réflexions considérables de l’auteur sur sa maladie et sa mort. Cette œuvre, qui témoigne d’une compréhension astucieuse des nombreuses nuances de peur et de désir qui accompagnent l’approche de la mort, comprend les immortels refrains « No man is an island » et « never send to know for whom the bell tolls, it tolls for thee ». Pourtant, dans le corpus de poèmes et de sermons que Donne a laissé derrière lui, et qui a été édité et publié par son fils après sa mort, les œuvres de l’auteur présentent un éventail diversifié de prose et de poésie, dont une grande partie est difficile à comprendre, mais qui est gratifiant pour ceux qui ont essayé de sonder sa portée et sa profondeur intellectuelles considérables. L’exemple de Donne n’a pas tardé à inspirer un certain nombre de poètes et d’auteurs qui ont suivi.

Les poètes métaphysiques.

À la fin du XVIIIe siècle, Samuel Johnson a inventé l’expression « poètes métaphysiques » pour décrire John Donne et une école de poètes qui avaient imité le style difficile mais percutant de ce poète. D’autres avaient déjà noté une tendance « métaphysique » dans l’œuvre de Donne et dans la poésie de l’Angleterre du début du XVIIe siècle, une tendance qui était devenue moins populaire à l’époque de la Restauration au cours du siècle suivant, les auteurs privilégiant un style plus clair et moins mystérieux. En réalité, aucune des personnalités que l’on a qualifiées de « poètes métaphysiques » au début du XVIIe siècle – dont George Herbert (1593-1633), Richard Crashaw (1613-1649) et Henry Vaughan (1621-1695), entre autres – n’était véritablement concernée par le sujet de la métaphysique, qui était à l’époque une branche de la philosophie naturelle traitant des propriétés sous-jacentes ou cachées des choses observées dans le monde naturel. Les poètes parfois rattachés à cette école dite métaphysique ne semblent pas non plus partager grand-chose, si ce n’est l’utilisation de certains procédés littéraires et un goût pour les traitements ironiques et souvent très paradoxaux de leurs sujets. Pourtant, la notion d’un groupe de poètes métaphysiques du début du XVIIe siècle a perduré, en partie, en raison des thèmes sérieux et religieux traités dans nombre de leurs œuvres – des thèmes qui différaient radicalement de la poésie séculaire et souvent mondaine écrite à l’époque par un groupe également longtemps identifié comme les « Cavaliers ». Dans les œuvres des principaux praticiens du « style métaphysique » – Donne, Herbert, Crashaw et Vaughan – certaines similitudes structurelles sous-jacentes semblent exister. L’une de ces similitudes réside dans leur recours fréquent à des modes d’expression emblématiques. Les emblèmes étaient des images symboliques qui contenaient souvent une devise. Ils sont apparus à la Renaissance comme un passe-temps populaire, et les livres d’emblèmes occupent une place importante dans la culture de la cour et de l’aristocratie depuis au moins le début du XVIe siècle. Dans l’ouvrage classique de Baldassare Castiglione, Le livre du courtisan (1528), par exemple, le cercle cultivé dont les conversations sont consignées dans l’ouvrage passe ses soirées à élucider les mystères que recèlent les emblèmes. Dans les décennies qui suivirent, les emblèmes apparurent dans toute l’Europe sur de nombreux éléments de la culture matérielle. Les artistes les insèrent dans des cycles de fresques, ou bien ils deviennent des symboles populaires incisés sur des bijoux. Parfois, ils étaient même reproduits sur de la vaisselle, afin que les hommes et les femmes cultivés, ayant reçu une éducation humaniste, puissent décoder leurs significations entre les plats des banquets. Cependant, alors même qu’ils devenaient de plus en plus populaires, les sensibilités qui entouraient leur consommation ont subi des changements – des changements qui ont été, en partie, parrainés par les Exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola et d’autres ouvrages du XVIe siècle qui préconisaient une contemplation approfondie et disciplinée des stimuli visuels dans « l’œil de l’esprit » pour améliorer les méditations personnelles. Les emblèmes, autrefois l’apanage d’une société cultivée soucieuse de démontrer sa connaissance de l’iconographie et des traditions littéraires, circulaient désormais dans des livres prisés par les catholiques fervents, les puritains et les anglicans comme aide à la dévotion religieuse. Dans les livres d’emblèmes, l’emblème lui-même était désormais représenté par trois éléments : une devise qui résumait la signification de l’emblème, une image symbolique qui le représentait et un poème qui commentait ses significations profondes. Ces œuvres étaient consciemment difficiles et faisaient appel aux sens du spectateur pour décoder les significations sous-jacentes cachées dans le langage symbolique de l’emblème. Elles exigeaient et récompensaient à la fois ceux qui utilisaient leur intelligence et leur érudition pour déverrouiller leurs nombreuses significations codées. Ce même sens hautement visuel et symbolique se retrouve dans les poèmes difficiles de Donne et de son ami, George Herbert, et il a également joué un rôle chez les admirateurs d’Herbert, Richard Crashaw et Henry Vaughan. Bien que les préoccupations de ces soi-disant « poètes métaphysiques » diffèrent, et que leur style soit extrêmement varié, il y a donc certains liens communs dans leurs œuvres qui sont enracinés dans le climat dévotionnel de leur époque.

Les Cavaliers.

Des sensibilités différentes en matière de style et de contenu peuvent être observées dans un deuxième groupe, bien que tout aussi artificiel, de poètes du début de la période Stuart, qui ont été identifiés par une longue tradition comme les Cavaliers. En général, ce terme était appliqué à tous ceux qui soutenaient Charles Ier pendant les guerres civiles des années 1640. Pourtant, en littérature, il a longtemps été accordé à la poésie de personnages comme Thomas Carew (1594/1595-1640), Richard Lovelace (1618-1657/1658), Sir John Suckling (1609-1642), Robert Herrick (1591-1674) et Edmund Waller (1606-1687). Les trois premiers étaient des courtisans de l’entourage de Charles Ier et n’ont pas vécu pour voir la restauration de la monarchie sous Charles II. Edmund Waller et Robert Herrick, en revanche, ont traversé les guerres civiles et ont vu leur fortune remonter sous la Restauration. Thomas Carew, l’homme d’État le plus âgé du groupe, a servi Charles Ier lors de la guerre des évêques de 1639, un engagement précipité par le projet désastreux de la Couronne d’établir des évêques en Écosse presbytérienne. Un an plus tard, la carrière de Carew en tant que royaliste fut interrompue par la mort, peut-être causée par les efforts de ses activités militaires. Contrairement au sérieux et au ton moral élevé observés dans de nombreux « métaphysiques », les poèmes de Carew étaient tout à fait plus légers et moins problématiques, et comme d’autres poètes cavaliers, ils révèlent souvent une attitude facile envers le sexe et la moralité. Bien qu’il ait écrit un poème à la gloire de John Donne, son propre style semble devoir davantage aux traits d’esprit de Ben Jonson, poète et dramaturge anglais de la Renaissance, qu’au ton moral sérieux promu à l’époque par la sainteté anglicane. Par-dessus tous les membres du groupe, il semble avoir été un excellent artisan littéraire avec une attention souvent méticuleuse aux détails dans ses poèmes, une qualité pour laquelle un autre Cavalier, Sir John Suckling, l’a critiqué comme s’il était un pédant. Parmi les autres personnages, Edmund Waller a longtemps été l’un des plus admirés, et ses poèmes ont continué à susciter l’admiration des critiques tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles. Le grand John Dryden (1631-1700) attribuait à la poésie de Waller le mérite d’inaugurer « l’âge auguste » de l’Angleterre, et parmi les qualités spécifiques qu’il admirait chez lui figurait une grande « douceur ». Aujourd’hui, la simplicité sophistiquée de ses œuvres continue d’être admirée, mais malheureusement uniquement par les spécialistes de la littérature anglaise ; Waller a depuis longtemps cessé d’être un nom familier. Né dans une famille aisée, il a accru sa fortune par plusieurs mariages habiles, et lorsqu’il est entré au Parlement dans les années 1620, il était initialement membre de l’opposition. Dans les années 1630, il change de camp pour devenir royaliste, mais lorsqu’il mène un complot infructueux pour prendre Londres aux forces puritaines en 1643, il est banni du pays pendant un certain temps avant de se réconcilier avec le Commonwealth puritain et de redevenir célèbre sous Charles II après 1660. En revanche, Robert Herrick est le seul membre des « Cavaliers » à n’avoir jamais servi à la cour. Bénéficiant d’une vie rurale au sein de l’Église d’Angleterre en récompense de son service militaire à la Couronne, il a vécu ses jours loin de Londres, dans des circonstances beaucoup plus calmes – c’est-à-dire en tant que pasteur de campagne dans un coin reculé du Devon, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Bien qu’il ait d’abord détesté la campagne, il en est venu à admirer le folklore rural de ses paroissiens, en partie parce qu’il abhorrait la façon dont les puritains tentaient de supprimer les coutumes traditionnelles des gens de la campagne. Ses œuvres étaient comme toutes les

Pour qui sonne le glas

introduction : Le grand poète John Donne était également reconnu comme l’un des prédicateurs les plus accomplis de l’Angleterre du XVIIe siècle. Ses sermons traitaient souvent des mystères de la mort, de la souffrance et de la rédemption chrétienne. Contrairement aux messages teintés de doctrine des puritains de la même époque, Donne et d’autres anglicans tentaient d’inciter leur auditoire à la repentance et à la sainteté de vie en présentant des images puissantes, comme il le fait dans ce célèbre passage de ses Devotions Upon Emergent Occasions, textes qui étaient à l’origine prononcés dans son bureau de doyen de la cathédrale St. Paul’s Cathedral à Londres.

Par chance, celui pour qui cette cloche sonne peut être si malade, qu’il ne sait pas qu’elle sonne pour lui ; et par chance, je peux me croire tellement meilleur que je ne le suis, que ceux qui sont autour de moi, et voient mon état, peuvent l’avoir fait sonner pour moi, et je ne le sais pas. L’Église est catholique, universelle, ainsi que toutes ses actions ; tout ce qu’elle fait appartient à tous. Quand elle baptise un enfant, cette action me concerne, car cet enfant est ainsi rattaché à ce corps qui est aussi ma tête, et greffé à ce corps dont je suis membre. Et quand elle enterre un homme, cette action me concerne : toute l’humanité est d’un seul auteur, et constitue un seul volume ; quand un homme meurt, un chapitre n’est pas arraché du livre, mais traduit dans une meilleure langue ; et chaque chapitre doit être ainsi traduit ; Dieu emploie plusieurs traducteurs ; certains morceaux sont traduits par l’âge, d’autres par la maladie, d’autres par la guerre, d’autres par la justice ; mais la main de Dieu est dans chaque traduction, et sa main reliera de nouveau toutes nos feuilles éparses pour cette bibliothèque où tous les livres seront ouverts les uns aux autres. Comme donc la cloche qui sonne pour un sermon n’appelle pas seulement le prédicateur, mais la congrégation à venir, ainsi cette cloche nous appelle tous ; mais combien plus moi, qui suis amené si près de la porte par cette maladie. Il y eut une dispute jusqu’à un procès (dans lequel se mêlaient à la fois piété et dignité, religion et estime), pour savoir lequel des ordres religieux devait sonner les prières le premier le matin ; et il fut décidé qu’ils devaient sonner les premiers qui se levaient le plus tôt. Si nous comprenons bien la dignité de cette cloche qui sonne pour notre prière du soir, nous serions heureux de la faire nôtre en nous levant de bonne heure, dans cette application, afin qu’elle soit la nôtre aussi bien que la sienne, dont elle est en effet la propriété. La cloche sonne pour celui qui pense que c’est le cas ; et même si elle s’interrompt à nouveau, à partir de la minute où cette occasion a agi sur lui, il est uni à Dieu. Qui ne lève pas les yeux vers le soleil quand il se lève ? mais qui les détourne d’une comète quand elle éclate ? Qui ne prête pas l’oreille à une cloche qui, en toute occasion, sonne ? mais qui peut la retirer de cette cloche qui fait passer un morceau de lui-même hors de ce monde ?

Aucun homme n’est une île, entière par elle-même ; chaque homme est un morceau du continent, une partie du principal. Si une motte est emportée par la mer, l’Europe n’en est pas moins, aussi bien que si un promontoire l’était, aussi bien que si un manoir de ton ami ou de toi-même l’était : la mort de tout homme me diminue, parce que je suis impliqué dans l’humanité, et que par conséquent je n’envoie jamais savoir pour qui sonne le glas ; il sonne pour toi.

source : John Donne, Devotions Upon Emergent Occasions (Londres : Thomas Jones, 1624) : 410-416. L’orthographe a été modernisée par Philip Soergel.

celles du groupe dit des Cavaliers : spirituelles, gracieuses, sophistiquées et agrémentées d’une touche de « devil-may-care ».

Milton et le Commonwealth puritain.

L’exécution de Charles Ier par le Parlement en janvier 1649 a signalé une fin soudaine aux rêveries des Cavaliers, et bien que certains poètes comme Waller et Herrick aient continué à écrire dans cette veine après la restauration de la monarchie, la victoire décisive des puritains a fait taire ces voix pendant un certain temps. Pendant le Commonwealth puritain, de nombreux partisans royalistes ont été contraints de fuir l’Angleterre avant de revenir ou, comme Herrick, de vivre des dons de leurs amis avant de reprendre la vie dont ils avaient bénéficié pendant la guerre. Pendant le Commonwealth puritain, les ouvrages de dévotion, les polémiques religieuses et les prophéties sensationnelles continuent d’affluer des presses anglaises, bien qu’il y ait peu de marché dans le climat religieux passionné des années 1650 pour le type de poésie gracieuse et élégante autrefois défendue par la société des Cavaliers. L’une des figures qui continuait à alimenter les débats politiques anxieux de l’époque était John Milton (1608-1674), qui, dès le début de sa vie, avait suivi une formation de pasteur puritain, mais qui, jusque dans les années 1640, avait passé une grande partie de son temps à étudier et à perfectionner ses talents de poète. Pendant les guerres civiles, Milton s’est retrouvé mêlé à la bataille entre puritains et royalistes lorsqu’il a publié un certain nombre de pamphlets attaquant l’épiscopat. Avec l’établissement du Commonwealth, il poursuit ses activités de propagandiste pour la cause puritaine, bien qu’il soit également secrétaire du Conseil d’État. De plus en plus aveugle, il continua néanmoins à soutenir la cause, publiant un tract si véhément dans la défense de la cause puritaine qu’il fut brûlé dans des feux de joie cérémoniels dans plusieurs villes françaises. Alors que le Commonwealth commence à s’effondrer dans les mois qui suivent la mort de son Lord Protecteur, Oliver Cromwell, Milton tente de rallier le soutien du gouvernement de plus en plus impopulaire, toujours en tant que pamphlétaire. Cependant, avec la restauration de la monarchie en 1660, il est contraint de se cacher, puis arrêté. Après un court emprisonnement, il est condamné à une amende et libéré. Sa carrière politique étant désormais en ruines, Milton se retire dans sa maison de Londres où il commence à écrire ses chefs-d’œuvre, Paradise Lost (1667) et Paradise Regained (1671). Ces deux œuvres comptent toujours parmi les lectures les plus difficiles de la langue anglaise, car elles sont remplies d’une syntaxe complexe, d’un vocabulaire abscons, de nombreuses allusions classiques difficiles et d’un style épique compliqué. Malgré leur orthodoxie religieuse puritaine, les deux poèmes monumentaux présentent l’étendue des connaissances de Milton et la complexité de ses opinions. Dans le Paradis perdu, l’auteur raconte la chute de l’homme dans le jardin d’Eden et présente l’un des portraits les plus sympathiques de Satan jamais enregistrés dans la tradition occidentale. Milton le traite à la manière d’un héros tragique, dont le défaut fatal réside dans les perversions du péché. Bien que l’histoire de la chute contenue dans la Genèse soit bien connue des lecteurs de Milton et qu’elle ait fait l’objet d’une multitude de traitements littéraires depuis longtemps, ces poèmes font preuve d’une grande originalité et d’une grande imagination. C’est pour cette raison que leur auteur a longtemps été considéré comme le poète anglais dont les pouvoirs ne sont surpassés que par ceux de William Shakespeare. Pourtant, le couronnement de la carrière de Milton en tant que figure littéraire était étroitement lié aux dures réalités politiques de l’État du XVIIe siècle. Si Milton n’avait pas été banni de la vie publique en raison de sa complicité avec le Commonwealth puritain, la grande œuvre de sa vie n’aurait peut-être jamais été achevée.

sources

R. Barbour, Literature and Religious Culture in Seventeenth-Century England (Cambridge : Cambridge University Press, 2002).

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voir aussi Religion : Les guerres civiles anglaises

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